C’était un samedi de la mi-mars. Assise dans le fond de la salle de contrôle de RI, j’ai commencé à dicter les résultats de radiographies pulmonaires des urgences. La première comportait de subtiles opacités diffuses périphériques. Ce n’était pas une pneumonie bactérienne ordinaire. J’ai appelé le médecin traitant des urgences : « Je crois qu’il s’agit de la COVID-19. » La radiographie pulmonaire suivante comportait des opacités périphériques bilatérales mal définies de l’espace aérien. Nouvel appel téléphonique au médecin traitant des urgences. Encore et encore, je trouvais que je me répétais dans mes dictées et mes appels. Des clichés de tomodensitométrie de l’abdomen et du bassin ont été réalisés pour exclure la lithiase rénale, la diverticulite, etc. Je voyais des opacités bilatérales, périphériques, en verre dépoli dans des patients qui étaient, autrement, asymptomatiques sur le plan respiratoire. J’ai repris le téléphone : « Pas de calcul, pas de diverticulite, mais je crains qu’ils aient la COVID-19. »

Avant ce jour-là, nous avions probablement vu moins de cinq cas suspects dans mon hôpital. Le lundi, j’ai fait le suivi des tests de COVID de ces patients. Tous positifs. Les vannes étaient ouvertes et la vague de COVID-19 a déferlé.

Notre hôpital, un centre hospitalier public de New York et un centre de traumatologie de niveau 1, s’est transformé. Les civières généralement libres rangés le long des corridors et des couloirs de service des urgences ont rapidement débordé de patients atteints de la COVID-19. Rapidement, la capacité des unités de soins intensifs du système de santé publique a presque triplé. Des médecins, infirmières et adjoints aux médecins de l’armée ont répondu à l’appel du devoir et contribué à nous soutenir pendant cette crise en travaillant dans certaines des nouvelles unités de soins intensifs. Les chirurgies non urgentes ont été reportées. Nous avons retardé les cas non urgents de RI.

En mars, avant la crise, mon collègue et moi allions aux soins intensifs pour insérer des cathéters veineux centraux et intra-artériels sur des patients afin d’alléger la charge du personnel de soins intensifs. Dans le cadre de notre programme de quatre résidents en radiologie par année, un résident était de garde la nuit et quatre faisaient différents stages simultanément.

Les autres résidents sont demeurés à la maison et étaient de réserve au cas où quelqu’un tombait malade. Beaucoup de médecins traitants en radiologie diagnostique ont obtenu un accès à domicile et se sont mis à faire du télétravail. Au début d’avril, tous nos résidents en radiologie ont été redéployés en médecine interne.

Alors qu’augmentaient les volumes en soins intensifs, mes collègues en RI et moi, avec une poignée de résidents en spécialisation précoce en RI, avons mis sur pied une équipe d’intervention. Nous courions d’un bout à l’autre de l’hôpital, des urgences aux salles de soins en passant par les soins intensifs, afin d’exécuter de multiples interventions d’accès veineux et d’insérer des cathéters artériels. La COVID-19 s’est mise à détruire les reins des patients.

Le service de néphrologie a cessé d’insérer des cathéters de dialyse temporaires au début de la pandémie et l’équipe d’intervention a pris en charge cette responsabilité également. Le nombre de patients ayant besoin d’une installation de cathéter temporaire a grimpé exponentiellement, à tel point que l’hôpital a manqué de cathéters. 

Sans espoir d’amélioration imminente de leur IRA, beaucoup de ces patients de COVID-19 ont par la suite nécessité le placement d’un Permacath. Alités uniquement dans des suites à pression positive, ces patients ne pouvaient être emmenés en RI, de sorte que l’intervention devait être réalisée dans la seule salle d’opération à pression négative dotée d’un arceau. Si un patient y demeurait assez longtemps, il risquait fort d’avoir besoin d’une des interventions « habituelles » de RI, tels qu’un drainage pleural, un drainage d’abcès, etc. Tout ce qui pouvait être effectué sous guidage tomographique était fait dans la salle à pression neutre du service de tomographie.

Même à l’apogée de la pandémie, nous avons continué à faire des biopsies urgentes ponctuelles et à insérer des port-a-caths pour les cas urgents de chimiothérapie de patients externes et nous nous sommes assurés que notre aire antérieure et postérieure aux interventions demeure une zone « froide », c’est-à-dire sans COVID-19. Lorsque nous avions un patient en exsanguination nécessitant une angiographie ou une embolisation d’urgence  et ayant un résultat positif de COVID-19 ou étant sous enquête, nous avons réalisé l’intervention dans notre suite de RI à pression positive, en espérant de ne pas nous contaminer.

La situation des ÉPI semblait précaire en raison des difficultés d’approvisionnement à l’échelle mondiale. Au cours de la première semaine de mars, nous avions épuisé le stock habituel de masques N95 du service de RI et l’une des infirmières en RI et moi sommes allées en chercher dans un autre département, car nous prévoyions en avoir besoin pour une intervention éventuelle pour un patient faisant l’objet de précautions respiratoires.

Plus tard ce jour-là, ces masques ont été repris. En raison des mesures systémiques de conservation des ÉPI mises en place pour palier aux pénuries éventuelles, on nous a dit que si nous avions besoin d’un masque, nous devions signer le registre pour une intervention précise et démontrer que le patient faisait l’objet de précautions respiratoires pour l’obtenir. Une fois que les mesures de conservation ont été instaurées, tous les ÉPI étaient centralisés dans un centre de contrôle situé à l’extérieur des urgences. À partir de ce centre de contrôle, on pouvait voir les camions réfrigérés entreposant les morts.

Une fois par semaine, nous recevions un sac à lunch en papier brun contenant un masque N-95 et un masque chirurgical standard, mais pas de sandwich. Selon les directives du CDC, nous devions réutiliser le masque N-95 à moins qu’il devienne visiblement souillé ou brisé. C’était comme si nous étions envoyés au combat sans armure ni armes. Nous avons commencé à porter des blouses en papier.

Le moment le plus effrayant, pour moi, s’est produit lorsque je plaçais un cathéter de dialyse aux soins intensifs. La patient intubé s’est mis à bouger et a réussi à débrancher son ventilateur. Malheureusement, je ne me suis pas rendu compte qu’il avait débranché l’appareil, qui se trouvait sous le drap à côté de l’ouverture du champ stérile. Une alarme s’est finalement déclenchée un peu plus tard et nous avons alerté le médecin traitant des soins intensifs au sujet de l’alarme et de la chute de SpO2. Pendant tout ce temps, sans le savoir, je me trouvais dans la ligne de feu pendant que les particules virales dans le tube étaient émises.

Il y a près de quatre semaines, j’ai passé un test sérologique. Le résultat était négatif. Bien que cela aurait été bon pour le moral d’avoir des anticorps OVID-19, je me sens rassurée de savoir que les ÉPI fonctionnent vraiment. Mais encore faut-il en avoir assez. Je suis récemment allée chercher un masque N95 et il y avait une énorme affiche où on pouvait lire « STOP! Nous n’avons pas de masques N95 en ce moment. Ayez conscience de l’institution! » Des stocks sont arrivés plus tard dans la journée.

Certains médecins et infirmières sont tombés gravement malades au sommet de la pandémie. Quelques-uns sont décédés. Le moral était très bas dans la ville. La ville qui ne dort jamais a fait une sieste et, peu après, est entrée en hibernation totale.

Il y a eu un exode massif de gens qui fuyaient la ville. Les épiceries et les pharmacies ont réduit leurs heures et limité le nombre de personnes qui pouvaient être à l’intérieur. Il était impossible d’obtenir la livraison d’épiceries. Il est devenu difficile d’acheter des aliments et d’obtenir des articles essentiels, car tout était fermé lorsque la plupart d’entre nous revenions du travail. L’organisme Bloomberg Philanthropies de Michael Bloomberg a contribué des millions de dollars au financement de World Central Kitchen, qui fournissait des repas aux travailleurs hospitaliers. Après une longue journée à l’hôpital, je retournais chez moi sous un ciel nuageux morose et gris pesant sur la partie sud de Manhattan, dont les trottoirs étaient flanqués de sans-abris et de sacs de poubelle. Des contreplaqués recouvraient les fenêtres des restaurants et des bars.

Plus de 50 000 personnes atteintes de COVID-19 ont été hospitalisées à New York. Il y a eu plus de 20 000 décès.* Comme le taux de mortalité des patients ayant reçu une ventilation mécanique âgés de 18 à 65 ans et de 65 ans et plus s’est établi à 76,4 % et à 97,2 %, respectivement, beaucoup des gens que j’ai rencontrés et traités ont hélas contribué à cette douloureuse statistique.**

L’hôpital s’est mis à faire jouer Fight Song de Rachel Platten sur les haut-parleurs chaque fois qu’un patient était extubé. Pendant un temps, nous l’entendions très souvent, cinq ou six fois par jour. Les gens s’exclamaient, applaudissaient ou poussaient un soupir de soulagement chaque fois qu’elle jouait.

À la mi-mai, plus de 700 patients COVID-19 avaient reçu leur congé de mon hôpital, et plus de 6 000 du réseau hospitalier public de New York. Le taux quotidien de décès de New York est enfin revenu dans les deux chiffres – une amélioration spectaculaire par rapport aux plus de 800 décès compilés à un moment donné. Les patients en pédiatrie sont revenus et certaines des salles converties ont été reconverties en unités « froides » sans COVID-19.

Les chirurgies non urgentes et les interventions non urgentes de RI reprennent lentement. Les gens reviennent à New York, remplissant les parcs et courant le long des rivières East et Hudson.

Certaines personnes respectent la distanciation sociale et portent des masques. Beaucoup ne le font pas. Les travailleurs non soignants préconisent la réouverture de la société, tandis que les gens aux premières lignes comme nous attendent avec angoisse une possible deuxième vague. Nous craignons pour le destin des personnes qui demeurent intubées et hospitalisées.

Mais, côté positif, l’une des infirmières de notre hôpital a récemment obtenu son congé après avoir combattu la COVID-19. La nouvelle a même été diffusée sur CNN. Elle a été applaudie à sa sortie d’hôpital et a pris sa première bouffée d’air frais. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai eu des larmes de bonheur et ressenti de l’espoir plutôt que de la désolation. Le soleil a enfin percé les nuages et il s’est remis à briller.

Dr. Rebecca Zener
Radiologue interventionnel et diagnostique, Santé et hôpitaux de New York

 

 

 


Sources: 

*https://www1.nyc.gov/site/doh/covid/covid-19-data.page

 **Richardson S, Hirsch JS, Narasimhan M, et al. Presenting characteristics, comorbidities, and outcomes among 5700 patients hospitalized with COVID-19 in the New York City area. JAMA 2020;323:2052-9.