Avec l’augmentation de la demande pour des interventions minimalement invasives et l’ampleur de la population mondiale mal desservie, la formation à la RI dans le monde se développe à grande vitesse. La Tanzanie se trouve au cœur de ces avancées grâce au programme Road2IR, le premier programme de formation en RI d’Afrique subsaharienne. Pays de plus de 60 millions d’habitants, la Tanzanie ne compte qu’un seul radiologue d’intervention par millions de personnes, et il n’y existait auparavant aucun service de RI.
Le programme Road2IR, mis en place en 2018 à l’initiative du Dr Frank Minja, neuroradiologue à l’Université Yale, et du Dr Fabian Laage Gaupp, fellow qui était alors résident en RI, a créé un diplôme de maîtrise en sciences (M. Sc.) en RI au Muhimbili National Hospital (MNH) de Dar es-Salaam. Le programme de formation se fonde sur des apprentissages pratiques au cas par cas ainsi que sur des cours en ligne et des clubs de lecture. Le Dr Ivan Rukundo, la Dre Azza A. Naif et le Dr Erick M. Mbuguje sont les trois premiers fellows en RI du programme. Ils avaient auparavant terminé leur résidence en radiologie diagnostique au sein du même établissement. Trois résidents en radiologie ont d’ores et déjà été sélectionnés pour commencer leur surspécialisation en RI lors de la prochaine année universitaire.
Le programme Road2IR a obtenu la participation de nombreux services de RI, parmi lesquels ceux de l’Université Emory, de l’Université Yale et de l’Université d’État du Michigan. Au Canada, des professionnels de santé de l’Université McGill et de Lakeridge Health, à Oshawa, ont également pris part à ce programme. Toutes les équipes de RI invitées sont les bienvenues au MNH dans le cadre de stages cliniques de deux semaines.
Les équipes se composent d’un radiologue d’intervention, d’une infirmière spécialisée en RI et d’un technologue spécialisé en RI; elles peuvent également comporter des fellows, des résidents et des étudiants en médecine. Les vols des infirmières et technologues spécialisés en RI sont entièrement payés par l’organisme. L’objectif du programme Road2IR est non seulement de former les médecins, mais aussi l’ensemble de l’équipe, puisque les technologues et les infirmières de Tanzanie découvrent également la RI.
Ma décision de rejoindre l’équipe de l’Université du Michigan en février 2020, en tant que résidente en radiologie de deuxième année, a été motivée par l’unicité de l’environnement d’apprentissage de la RI et la perspective de vivre de nouvelles expériences culturelles. Après avoir découvert le programme en ligne un an plus tôt, j’ai tout d’abord hésité à me lancer dans mon tout premier projet international de radiologie, en particulier au sein d’une équipe de RI d’un établissement que je ne connaissais pas. Je suis cependant extrêmement heureuse d’avoir pris ce risque, puisque ma participation au nouveau programme de RI en Tanzanie est l’une des expériences les plus gratifiantes que j’aie vécues jusqu’alors.
Que se passe-t-il quand on se porte volontaire? Avant le départ, les préparatifs et les éléments logistiques sont pris en charge par l’équipe de Road2IR; tout est donc simple et fluide. On reçoit par courriel des renseignements pour faciliter le voyage, puis plusieurs appels permettent de passer en revue les détails et de poser des questions. Une fois à Dar es-Salaam, on vient nous chercher à l’aéroport et nous amener à l’appartement de l’équipe, à 20 minutes à pied de l’hôpital. Pendant les deux semaines, l’équipe dispose d’un chauffeur dédié. On travaille généralement de 8 h à 16 h, du lundi au vendredi. La séance de formation donnée par le superviseur de l’équipe invitée, en tout début de matinée, est toujours très bien accueillie. Les résidents et les fellows effectuent les bilans et présentent les patients au superviseur afin de décider si une intervention est indiquée, son type et à quel moment la réaliser. En fin de semaine, les équipes invitées sont encouragées à explorer les plages de Zanzibar ou à aller en safari dans le parc national du Serengeti.
Lors de mon stage clinique de deux semaines, nous avons effectué des microbiopsies guidées par échographie ou par tomodensitométrie, des insertions ou échanges de tubulures de drainage biliaire ou d’urostomie, des mises en place de tuteurs biliaires, des embolisations de l’artère utérine, une embolisation de l’artère splénique et la mise en place d’un permcath. À cause des ressources limitées dont nous disposions, il nous fallait faire preuve de créativité et d’innovation en salle de RI. Les répercussions positives de ces interventions minimalement invasives étaient indéniables. La mise en place de tubulures d’urostomie soulageait notamment les symptômes des patientes atteintes d’uropathie obstructive à cause d’un cancer du col de l’utérus à un stade avancé. La possibilité de réaliser des microbiopsies guidées par imagerie augmentait la probabilité de poser un diagnostic pathologique par rapport aux pratiques locales de cytoponctions à l’aveugle.
Le meilleur aspect de mon expérience a été de travailler avec une équipe locale de fellows, de résidents, d’infirmières et de technologues en RI des plus motivées qui avait beaucoup à m’apprendre.
J’ai demandé aux fellows en RI actuels de me donner leur avis sur leur propre expérience au sein du programme Road2IR.
Dr Rukundo, comment avez-vous appris l’existence de la RI, et pour quelles raisons vous êtes-vous passionné pour cette spécialité?
J’ai découvert les interventions guidées par imagerie lors d’un stage clinique en cardiologie d’intervention en échange dans un hôpital d’Allemagne. Les interventions permettaient de sauver des vies, étaient peu invasives et avaient un aspect plus rutilant que tout ce que j’avais pu voir chez moi. À la fin de mes études de médecine, j’avais déjà décidé de me spécialiser en radiologie et non en cardiologie, mais je souhaitais quand même réaliser mon rêve d’effectuer ces interventions rutilantes guidées par imagerie qui permettent de sauver des vies. Ma passion s’est développée grâce à mon formidable intérêt pour les technologies d’imagerie en évolution constante, à la chance que cette discipline offre d’interagir avec les patients et aux innovations en RI.
Dre Naif, quels avantages suite à l’offre de services de RI en Tanzanie avez-vous constatés?
Les avantages sont immenses. Nous avons reçu énormément de commentaires positifs des services nous ayant envoyé leurs patients et des patients eux-mêmes. Nous avons réussi à prolonger l’espérance de vie de certains de nos patients, comme les patientes atteintes d’un cancer du col de l’utérus au stade avancé qui ne pouvaient pas subir d’intervention chirurgicale à cause d’une insuffisance rénale. Sans urostomie percutanée, il aurait été inenvisageable de traiter leur cancer.
Dr Mbuguje, comment avez-vous présenté le programme Road2IR dans votre établissement, et à quelles difficultés avez-vous été confronté?
D’après moi, il s’agissait davantage d’occasions que de difficultés. En Tanzanie, la RI est une nouvelle discipline médicale. Il nous fallait donc présenter cette discipline à nos confrères et consœurs médecins ainsi qu’à la population, au travers de réunions cliniques et d’entretiens en direct à la télévision afin d’effectuer de la sensibilisation à ce sujet. Nos établissements ont accueilli cette nouvelle discipline avec un entrain extraordinaire et nous ont fourni le soutien dont nous avions besoin. Parmi nos défis actuels, il nous faut maintenant trouver d’une part suffisamment de superviseurs, d’infirmières et de technologues spécialisés en RI, et d’autre part du matériel, ce qui reste un problème en Tanzanie et en Afrique de façon générale.
Dre Naif, qu’avez-vous préféré lors de votre expérience en RI jusqu’à maintenant?
De voir ces patients qui seraient morts, mais qui ont été sauvés grâce aux interventions de RI. D’apprendre des équipes invitées, ça a aussi été une expérience extraordinaire. Tous ceux qui viennent sont extrêmement enthousiastes à l’idée d’enseigner, c’est vraiment formidable.
Dr Rukundo, comment pensez-vous qu’il serait possible d’améliorer encore davantage le processus et la portée du programme Road2IR?
Je dirais qu’il faudrait prolonger le temps de présence en Tanzanie des équipes invitées, de deux semaines à disons un mois ou même davantage selon leur disponibilité. Cela aiderait les stagiaires à progresser régulièrement sous supervision, et donnerait aux superviseurs davantage de temps pour enseigner certaines compétences particulières et mieux suivre les progrès des stagiaires. On pourrait aussi augmenter la visibilité du site Web du programme Road2IR, sur lequel on peut accéder à tous les renseignements le concernant.
Dr Mbuguje, comment les équipes de RI du Canada pourraient contribuer au programme Road2IR?
Le plus important, c’est d’établir des ententes mutuelles sur la gestion des ressources humaines pendant la phase de renforcement des capacités. Il faudrait par exemple envoyer des superviseurs, des infirmières et des technologues spécialisés en RI, avoir la chance de participer à des congrès et des ateliers professionnels organisés par des organismes de RI du Canada, ainsi que pouvoir bénéficier d’un mentorat professionnel.
En seulement deux ans depuis sa création, le programme Road2IR est devenu un programme collaboratif multiuniversitaire et un nouveau modèle pour les missions de formation à la RI dans le monde.
L’avenir de ce programme, qui vient de se voir octroyer la subvention Derek HarwoodNash International Education Scholar Grant, offerte par le RSNA Research and Educational Board of Trustees de la Société de radiologie d’Amérique du Nord (RSNA), est très prometteur.
Il existe désormais des projets d’expansion visant à créer un premier programme de RI au Rwanda, puisque le Dr Rukundo compte transmettre l’enseignement qu’il a reçu dans son pays d’origine. Le programme Road2IR travaille également avec la SAFIRE (Society of African Interventional Radiology and Endovascular Therapy) pour implanter encore davantage la radiologie vasculaire et d’intervention sur le continent africain. Le programme Road2IR est constamment à la recherche d’équipes de RI souhaitant prendre part à cette initiative, que ce soit en personne ou virtuellement.
Si cela vous intéresse et que vous aimeriez recevoir davantage de renseignements, vous pouvez écrire à aline.d.khatchikian@mail.mcgill.ca vous abonner à road2IR sur Twitter, Instagram ou Facebook et consulter le site Web de l’Université Yale consacré à la formation à la RI dans le monde.
Article soumis par Aline D. Khatchikian, MD, résidente de 3e année, en radiologie à l’Université McGill