Pouvez-vous nous raconter votre parcours jusqu’à la radiologie d’intervention et ce qui vous a donné envie de choisir cette spécialité?

En début de carrière, j’ai toujours été attirée par les interventions à l’hôpital. En 2007-2008, j’étais « foundation year doctor » (deux premières années après l’obtention du diplôme au Royaume-Uni). Je me portais toujours volontaire pour les interventions de ponction lombaire, de drain d’ascite, de drain pleural, etc. À l’époque, nous étions de garde sept nuits de suite. Une semaine de gardes de nuit était suivie d’une semaine de « formation » que l’on appelle aujourd’hui « Taster week ». Nous pouvions choisir n’importe quelle spécialité pour y passer du temps. J’ai choisi la radiologie, parce que je souhaitais voir une spécialité différente.

J’ai été affectée aux salles de radiologie d’intervention (RI) un jour de cette semaine-là. Je n’avais aucune idée de ce que c’était, j’y suis allée. Le premier patient sur la liste devait recevoir un filtre dans la veine cave inférieure. Je n’avais aucune idée du déroulement de cette intervention et pensais que cela prendrait des heures. J’ai été présentée au médecin consultant et l’ai vu se préparer pour l’intervention. J’ai discuté avec les infirmières, et cinq minutes plus tard, le médecin s’est retourné en disant « C’EST FAIT ». J’en suis restée à la fois choquée et impressionnée. Je me souviendrai de ce jour toute ma vie, parce que c’est ce jour-là que j’ai découvert le monde de la RI. Et plus j’en ai appris sur cette spécialité, plus je l’ai aimée. J’ai commencé à parler avec des radiologues d’intervention et à bâtir mon CV pour me former dans ce domaine.

J’ai commencé mon parcours en radiologie en 2010, après avoir terminé deux ans de formation en médecine interne. Ce n’était pas vraiment nécessaire pour aller en radiologie, c’était plus une solution de recours pour le cas où je changerais d’avis. Je n’ai jamais regretté mon choix, et quel parcours ce fut!

J’ai rencontré des mentors fantastiques qui m’ont guidée d’un bout à l’autre et m’ont encouragée à réaliser mon rêve.


Comment réussissez-vous à concilier vie professionnelle et vie personnelle dans un domaine aussi exigeant que l’est la radiologie d’intervention?  Comment réussissez-vous à trouver un équilibre entre les exigences de la radiologie d’intervention et les responsabilités familiales, et quel conseil avez-vous pour les femmes qui souhaitent atteindre un tel équilibre?

Je ne vais pas mentir. Ça a été difficile, mais pas impossible puisque je suis ici.

J’ai terminé ma formation et accepté un poste de consultante en octobre 2016. J’ai fondé ma famille à la même époque. J’ai une fille qui a presque 7 ans. Mon mari est médecin de famille généraliste. Je travaille dans un hôpital de soins tertiaires, ce qui signifie que tous les cas complexes ou urgents d’une vaste région sont envoyés dans notre hôpital. Quand je suis de garde en radiologie vasculaire, je reçois donc des cas de rupture d’anévrisme aortique, de trauma, de saignement gastro-intestinal haut et bas et d’ischémie aiguë d’un membre.

Je préside le comité d’équité, diversité et inclusion de la British Society of Interventional Radiology (BSIR) et je suis tutrice pour les médecins diplômés à l’étranger dans ma région pour la fondation NHS de l’hôpital universitaire de Hull.

Bref, ma vie personnelle et ma vie professionnelle sont bien occupées, et il peut être dur de maintenir cet équilibre. J’ai connu mon lot de difficultés pendant ma formation, avec mon mari nous vivions loin de nos familles qui ne pouvaient donc pas nous aider, nous avons connu des problèmes de garde d’enfant, etc.

Le plus important (ce qui a fonctionné pour moi) a été de prendre soin de ma santé physique et de ma santé mentale. De prendre le temps de faire des activités que je trouvais intéressantes en dehors du travail. Des choses simples, comme faire une longue promenade en voiture avec ma fille et écouter et chanter nos chansons préférées me comblent de joie. J’aime rester en bonne forme physique, donc j’aime courir et suivre des cours de gymnastique. J’adore marcher, alors je m’assure de partir au moins une fois par an avec mes amis faire de la randonnée.

Il est très important de gérer son horaire, de s’y tenir et de prioriser des éléments par rapport à d’autres, en se rappelant que l’on est tous humains. Ne soyez pas irréaliste quand vous planifiez votre semaine.

Il est important de poser des limites. Si le travail se termine à 17 h, alors après cette heure, je suis physiquement et mentalement à la maison. Il y a bien des fois où ce n’est pas possible, en particulier quand j’organise un événement ou une conférence ou que je prépare une présentation. Mais à part dans ces cas-là, après 17 h, je suis à la maison. Je travaille à temps plein, mais j’ai compacté mes heures de travail sur quatre jours. Je ne travaille pas le lundi, et je respecte ces limites.

J’ai eu mon lot de problèmes de service de garde d’enfants. J’ai reçu des appels de la pouponnière, du service de garde ou de l’école pour venir chercher ma fille parce qu’elle n’allait pas bien, généralement les jours où il n’était pas possible pour moi de m’absenter du travail. C’est grâce à mon équipe et à mes collègues extraordinaires que je me suis sortie de quelques situations difficiles.


Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous avez été confrontée en tant que femme en radiologie d’intervention, et comment les avez-vous surmontées?

Pendant ma formation, j’étais la seule étudiante en RI de mon année. Il n’y avait aucune femme l’année précédente, ni l’année suivante. J’ai toujours hésité à fonder une famille parce que je pensais que mon absence pendant le congé de maternité ferait reculer ma carrière. Cela me semblait un peu injuste, à l’époque. J’ai toujours eu le sentiment d’être meilleure que certains de mes collègues masculins, qui n’avaient pas à prendre ce genre de décision. J’ai fait mon choix et terminé ma formation et mes examens. J’ai obtenu un poste de consultante, puis j’ai fondé une famille. Ai-je pris la bonne décision? Il n’y a pas vraiment de bonne ou de mauvaise réponse à cette question, c’est une affaire de choix personnel.

J’ai de nombreuses amies et collègues qui ont fondé leur famille pendant leur formation et leurs examens. Je les respecte immensément pour cela. J’ai toujours eu le sentiment d’avoir suivi une voie facile, mais en réalité, la décision de ne pas avoir d’enfant pendant ma formation a été très dure à prendre.

Il y a extrêmement peu de femmes en RI, ce qui dissuade bon nombre de femmes de choisir cette spécialité. Et pourtant, c’est plutôt le manque de représentation et d’exemples qui fait que les femmes ne sont pas attirées par ces postes. Il y a un manque de mentorat ou de conseils plus spécifiquement dédiés aux femmes, et j’ai été moi aussi confrontée à ce problème. Les responsabilités familiales ne sont pas les mêmes pour les femmes que pour les hommes. Comprendre cela, c’est la clé de tout. Actuellement, je suis la seule radiologue d’intervention vasculaire de mon hôpital. Comme je l’ai déjà dit, j’ai déjà eu à quitter le travail quelques fois pour une urgence familiale. J’avais tendance à hésiter et voulais finir de traiter mes patients d’abord avant de partir, ce qui me causait davantage d’anxiété. Il est extrêmement important de communiquer avec vos collègues et de les tenir au courant de la situation. Généralement, les gens comprennent et cherchent à vous aider.

Les rayonnements pendant une grossesse sont un autre problème qui effraie la plupart des femmes, ce qui les dissuade de s’orienter vers la RI, principalement à cause du manque de connaissances et de conseils.


Que conseillez-vous aux femmes qui souhaitent entrer dans le domaine de la radiologie d’intervention?

La radiologie d’intervention est un domaine extraordinaire qui évolue en permanence, les appareils et les techniques de traitement de différentes pathologies vasculaires ou non vasculaires évoluant d’année en année. En général, les femmes s’adaptent très rapidement à un environnement qui change et à des défis inattendus. En particulier les jeunes mères de famille, qui sont habituées à gérer des situations difficiles au quotidien. Elles savent gérer le stress et sont capables d’assumer des responsabilités multiples. Donc, ce que je conseille aux femmes qui souhaitent faire carrière en RI, c’est « vas-y fonce, tu es capable ».

J’ai parlé à de nombreuses jeunes stagiaires souhaitant faire carrière en RI et qui se posaient beaucoup de questions, parce qu’elles voulaient garder la maîtrise de leur carrière, de leur vie et de leur famille. Elles veulent planifier toute leur vie, ce qui, en pratique, n’est pas possible. La vie est imprévisible, et d’après mon expérience, rien ne se passe jamais comme prévu, alors pourquoi se met-on tant de pression sur les épaules?

Le mentorat et les conseils sont primordiaux : trouvez-vous donc un bon mentor. Pas nécessairement une femme, d’ailleurs. Tous mes mentors étaient des hommes, et ils m’ont encouragée tout au long de mon parcours.


Vous êtes-vous trouvée confrontée à des stéréotypes ou à des préjugés sur les femmes en radiologie d’intervention, et si oui, comment y répondez-vous?

Bien sûr! Les biais inconscients existent, et les femmes en sont la plupart du temps la cible. Par exemple, la recherche a montré que les femmes sont moins envisagées pour des postes de direction. On pense souvent à tort que les femmes sont trop émotives, et donc qu’elles ont du mal à prendre des décisions. On pense aussi que les femmes ont trop de responsabilités, davantage sur le plan personnel que les hommes, ce qui les rend moins aptes à se concentrer entièrement sur le travail.

Le manque de confiance est aussi un problème. Les femmes se sous-estiment. Pendant ma formation, je ne me croyais capable d’effectuer une intervention que si je la faisais seule et sans aucune aide. Les hommes sont différents, ils ont davantage confiance en eux et considéreraient sans doute qu’ils sont compétents même s’ils n’ont fait qu’observer une intervention une ou deux fois.

Les femmes ont tendance à ne pas se mettre en avant. J’en suis coupable, moi aussi. Je sais que j’ai davantage de potentiel que bon nombre de mes collègues masculins qui occupent des postes de direction, mais je ne me sens toujours pas prête pour cela.

Les biais inconscients, c’est un état d’esprit qui doit être changé, mais pour l’instant cela existe. Alors que peut-on faire pour améliorer notre vie professionnelle, pour être en mesure d’obtenir le même respect et les mêmes occasions que nos collègues masculins, pour être écoutées et valorisées pour notre opinion?

La première des choses, et la plus importante, c’est de croire en soi-même. Développez cette confiance en vous. Si vous ne croyez pas en vous-même, personne autour de vous ne croira en vous.

Il est également important d’avoir une vie familiale saine. Mon mari prend toujours le relais quand j’ai passé une journée fatigante et que je me sens incapable de fonctionner physiquement, et vice versa. Une vie de famille saine, cela fait beaucoup pour la confiance de chaque femme ou chaque homme.


Pouvez-vous nous raconter des expériences sur l’intégration de l’intelligence artificielle dans la pratique de la radiologie d’intervention ou nous donner des conseils à ce sujet?

L’intelligence artificielle, la réalité augmentée et la réalité virtuelle sont toutes bénéfiques en radiologie d’intervention, parce que non seulement elles améliorent le traitement de l’image, mais en plus elles permettent de guider les interventions et d’en prévoir les résultats.

Au sein de notre fondation, nous travaillons à l’intégration de l’intelligence artificielle dans notre travail de tous les jours en RI. Pour l’instant, nous avons utilisé Rapid AI pour des thrombectomies mécaniques en cas d’accident vasculaire cérébral. Nous sommes alertés dès que le patient part en imagerie. Non seulement l’application traite les images, mesure les défauts d’irrigation et détecte les occlusions de gros vaisseaux, mais en plus, elle prévoit les résultats des interventions.

L’intelligence artificielle joue un rôle très important dans la sélection adéquate des patients selon les interventions. Elle aide aussi à représenter en détail une anatomie complexe avant l’intervention. Pendant l’intervention, la fusion d’images ou les options d’approche recommandées pour différentes techniques aideront également à gagner du temps et à limiter l’exposition aux rayonnements des opérateurs. Après l’intervention, elle peut évaluer la réponse au traitement et aider à effectuer le suivi.

L’intelligence artificielle comporte aussi certains défauts : par exemple, son intégration dans un système existant peut être coûteuse et complexe. Des données d’entrée de mauvaise qualité peuvent entraîner l’obtention de résultats erronés. Si l’on s’appuie démesurément sur l’intelligence artificielle, les futures générations risquent de perdre leurs compétences diagnostiques et prendre des décisions avec moins de confiance.


Pouvez-vous nous parler d’initiatives ou de projets dans lesquels vous vous êtes impliquée dans le but de remédier à la disparité hommes/femmes ou d’améliorer la représentation des femmes en radiologie d’intervention?

Je suis actuellement présidente du comité d’équité, diversité et inclusion de la British Society of Interventional Radiology (BSIR). Son principal objectif est d’accroître la visibilité de la RI chez les étudiants en médecine et les médecins en début de carrière, pour encourager surtout les femmes et les médecins issus de minorités de choisir de faire carrière en RI. Nous sommes en train de lancer un programme de mentorat de la BSIR en collaboration avec le Royal College of Radiologists. Il s’agira de mettre en relation un mentor et un mentoré pendant un an, ce qui permettra au mentoré (membre de la BSIR) de recevoir des conseils personnels et professionnels. Le processus de candidature pour les mentors et les mentorés est désormais terminé, et nous avons reçu un accueil extraordinaire.

En tant que membres du comité d’équité, diversité et inclusion, nous avons l’an dernier effectué un sondage auprès des membres de la BSIR. Les résultats de ce sondage ont été intéressants et ont mis en lumière plusieurs problèmes auxquels les femmes en RI et les médecins issus de la diversité sont confrontés. Nous travaillons actuellement au compte-rendu de ce sondage, ce qui nous guidera pour l’avenir de la BSIR et de la spécialité de radiologie vasculaire.

Le comité d’équité, diversité et inclusion s’implique aussi activement dans la préparation du congrès scientifique annuel de la BSIR, afin d’accroître la visibilité de la RI, en particulier auprès des femmes. Cette année, nous animons une séance de notre congrès scientifique annuel, pour laquelle nous avons invité des conférenciers nationaux et internationaux à parler notamment de diversité et de la place des femmes en RI.

Je m’implique activement dans différents forums et sur différentes plateformes, organisés à l’intention des étudiants en médecine et des médecins en début de carrière qui cherchent à faire carrière en radiologie et en radiologie d’intervention, par exemple le Yorkshire Imaging and interventional radiology symposium (YiiRs) et la Society of Radiologist in training (SRT), afin d’encourager davantage de femmes à aller en RI.

J’ai récemment eu des réunions avec la section RFE de CAIR, et en tant que présidente du comité d’équité, diversité et inclusion, j’espère qu’une future collaboration entre la BSIR et CAIR permettra de renforcer la visibilité de la RI auprès des femmes.