Pouvez-vous nous raconter votre parcours jusqu’à la radiologie d’intervention (RI) et ce qui vous a donné envie de choisir cette spécialité?

J’ai toujours aimé les interventions médicales et je pensais choisir une spécialité en chirurgie. Mais tout a changé un jour, alors que j’étais omnipraticienne : je travaillais au service de soins intensifs et nous avions un patient atteint d’une pancréatite qui n’allait pas très bien. Il présentait un grand pseudokyste pancréatique et son état était trop instable pour réaliser une intervention chirurgicale. Les médecins du service ont recommandé un drainage du pseudokyste guidé par tomodensitométrie, et j’avais très envie de voir comment cela s’effectuait. Je me suis rapidement portée volontaire pour accompagner le patient au service de radiologie pour l’intervention, à laquelle j’ai pu assister. Après l’intervention, l’état du patient s’est radicalement amélioré et il a pu sortir de l’hôpital environ trois semaines plus tard. C’est là que j’ai décidé de me réorienter. Tout ce qui touchait à la radiologie d’intervention me passionnait tellement que j’ai commencé à faire davantage de recherche à ce sujet, pour savoir comment des interventions minimalement invasives permettent de résoudre des défis cliniques complexes et de réduire le temps d’hospitalisation, le temps de récupération et, dans bien des cas, les risques pour le patient. C’est aussi le côté novateur de la RI qui m’a attirée : bon nombre d’interventions courantes aujourd’hui étaient au départ de nouvelles solutions minimalement invasives de prise en charge de situations pathologiques. L’année suivante, j’ai déposé ma candidature pour une résidence en radiologie diagnostique dans mon pays natal, le Kenya, que j’ai terminée il y a deux ans. J’ai ensuite posé ma candidature pour une surspécialisation, que j’ai commencée en juillet 2024 à l’Université de Toronto.


Comment réussissez-vous à concilier vie professionnelle et vie personnelle dans un domaine aussi exigeant que l’est la radiologie d’intervention?

Cela nécessite une bonne dose de volonté et d’intelligence émotionnelle. Je n’ai pas encore trouvé cet équilibre, parce que la surspécialisation nécessite énormément de travail et de concentration. Établir une routine pour prendre soin de soi au quotidien peut aider : je suis chrétienne et je m’astreins à commencer ma journée par une communication avec Dieu afin de commencer la journée dans un état d’esprit positif. Je fais exprès de réserver du temps chaque soir pour me reposer, et chaque week-end pour garder le contact avec mes amis et ma famille. J’ai la chance d’avoir le soutien d’une équipe solide qui peut m’aider tant moralement que lors des activités du quotidien, comme la garde des enfants, par exemple. Je mets un point d’honneur à avertir les membres de ma famille des périodes pendant lesquelles j’aurai besoin de me concentrer sur des tâches liées à mon travail, et de leur consacrer davantage de temps quand j’ai moins de travail.

Je m’efforce de prioriser les tâches professionnelles et de les terminer rapidement aussi efficacement que possible, l’une après l’autre. J’ai appris à accepter les contretemps et à ajuster mes plans et mes horaires selon les besoins. Je suis aussi en train d’apprendre à poser des limites, tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel.


Que conseillez-vous aux femmes qui souhaitent entrer dans le domaine de la radiologie d’intervention?

Faites vôtre le processus d’apprentissage. En radiologie d’intervention, la courbe d’apprentissage peut être abrupte et parsemée de bon nombre de défis en raison de la complexité et du nombre d’interventions réalisées, ainsi que du volume de travail de certains établissements. Concentrez-vous sur votre objectif et ne vous laissez pas abattre. Faites preuve de patience envers vous-même.

Concentrez-vous sur vos progrès plutôt que sur la perfection. Toutes les compétences et les connaissances acquises, même infimes, se cumulent avec le temps. Adoptez une attitude axée sur la croissance et considérez toutes vos erreurs comme des occasions d’apprentissage. Célébrez toutes vos réussites en cours de route, grandes ou petites.

Cherchez des occasions de faire avancer votre carrière. Apprenez le plus possible des professeurs et mentors qui souhaitent vous aider dans votre cheminement vers la radiologie d’intervention. Si possible, assistez à des congrès et conférences sur la RI. Ce sont d’excellentes plateformes pour connaître les nouveautés, mais aussi pour réseauter avec d’autres personnes passionnées par la RI.

Enfin, n’ayez pas peur d’aller au bout de vos rêves. Ils pourraient bien se réaliser!


Que pourraient faire les femmes pour favoriser le soutien et la collaboration dans le domaine de la radiologie d’intervention?

Il est important de reconnaître et de célébrer nos forces respectives et de travailler ensemble pour éviter toute compétition néfaste. Pour cela, on peut établir des liens professionnels et proposer du mentorat aux médecins plus jeunes. Quand les femmes se rassemblent, elles accomplissent de grandes choses!

Un plus grand nombre de femmes devraient occuper des postes à responsabilités, tant sur nos lieux de travail qu’au sein des associations professionnelles, afin de modifier la culture de la RI en ayant le pouvoir d’agir. Nous devons nous impliquer davantage dans la mise en œuvre de politiques, contraignantes ou non, qui influent sur la pratique de la RI.


En quoi la diversité permet-elle, selon vous, d’améliorer la pratique de la radiologie d’intervention?

J’ai la chance de travailler dans un environnement qui valorise la diversité et l’inclusion. L’humanité est constituée de personnes diverses : en embrassant cette diversité, le système de santé reçoit les points de vue de personnes issues de milieux différents et ayant des expériences différentes, ce qui crée une culture favorable aux nouvelles idées et aux approches novatrices. Il est prouvé qu’un environnement de travail inclusif attire et retient les professionnels talentueux.

La diversité améliore également l’expérience des patients et, globalement, les soins qui leur sont apportés : selon de nombreuses études, les patients sont plus satisfaits quand ils reçoivent des soins de la part d’une équipe médicale qui leur ressemble.

C’est aussi essentiel pour inciter la prochaine génération de médecins à envisager la RI comme spécialité : voir quelqu’un qui leur ressemble pratiquer et exceller dans sa profession leur permet de se voir à leur place, ce qui joue un rôle moteur déterminant,


En matière de santé mondiale, que peut-on faire pour l’avancement de la radiologie d’intervention dans les pays en développement?

Dans mon pays, le Kenya, la RI a pris de l’ampleur ces quelques dernières années, même s’il reste encore beaucoup de travail à accomplir. De l’aide en matière de formation aiderait grandement à promouvoir la RI. Ce domaine intéresse bon nombre de résidents et de radiologues en exercice, qui sont limités par les occasions de formation disponibles. L’ouverture de postes en surspécialisation aux radiologues issus de pays en développement aiderait grandement, même si nous développons aussi nos établissements de formation. Certains organismes, comme RAD-AID et Road2IR, se rendent dans des pays en développement pour augmenter l’enseignement de techniques de RI spécialisées et offrir des conseils dans la mise en place et le fonctionnement d’un service de RI efficace pour les radiologues d’intervention en exercice et leurs équipes (y compris les infirmières et les technologues en radiologie). Cela a considérablement amélioré notre pratique de la RI dans le pays.

La mise en place d’une bonne chaîne d’approvisionnement en consommables contribuerait également à la croissance de la RI. Nous dépendons principalement de fournisseurs tiers qui peuvent vendre l’équipement de RI à des prix élevés, et fournissent parfois du matériel qui n’est pas de qualité optimale. Nous avons parfois du mal à obtenir des cathéters et des fils guides spécialisés, puisque les fournisseurs n’en proposent pas. Par ailleurs, la chaîne d’approvisionnement est instable : elle dépend de l’offre et de la demande, ce qui entraîne des ruptures de stock de temps à autre.