Pouvez-vous nous raconter votre parcours jusqu’à la radiologie d’intervention (RI) et ce qui vous a donné envie de choisir cette spécialité?
Dans mon pays (le Salvador), il n’y avait aucun spécialiste en radiologie d’intervention. Comme j’étais résidente en chirurgie, le fait que nous ne découvrions les solutions à bon nombre d’interventions que dans des livres ou des magazines me frustrait, ce qui m’a amenée à m’intéresser à cette spécialité. Par conséquent, après avoir terminé ma résidence en chirurgie, j’ai effectué une autre résidence en radiologie dans le but de me spécialiser par la suite en radiologie d’intervention.
Pendant ma résidence en radiologie diagnostique, je m’intéressais à la radiologie d’intervention et je me suis documentée sur les interventions. Une fois ma résidence terminée, j’ai cherché un pays d’Amérique latine où je pourrais effectuer ma surspécialisation, ce qui m’a amenée à visiter différents programmes. C’est au Mexique que j’ai eu la chance d’effectuer ma surspécialisation.
Comment réussissez-vous à concilier vie professionnelle et vie personnelle dans un domaine aussi exigeant que l’est la radiologie d’intervention?
C’est plutôt difficile, quelle que soit la spécialité, et en particulier celles pour lesquelles il y a des quarts de travail et des interventions; cela dit, je pense qu’il est très important d’être entouré par des gens qui non seulement nous comprennent, mais aussi nous soutiennent dans tous les aspects de notre vie. Je ne parle pas uniquement d’avoir le soutien d’un partenaire, mais aussi celui de ses enfants, ses parents, etc.
Depuis toujours, j’estime que l’équilibre parfait est celui qui nous permet d’être en paix et de nous sentir bien, parce que quand on essaye de se conformer aux normes et d’être une mère, une épouse, une fille, une amie et une collègue parfaite, on se retrouve sur le chemin de l’épuisement professionnel.
Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous avez été confrontée en tant que femme en radiologie d’intervention, et comment les avez-vous surmontées?
Comme j’étais la première de ma spécialité, j’ai été confronté à des stéréotypes de genre. De façon générale, dans l’ensemble du domaine, les femmes doivent souvent démontrer qu’elles sont capables d’effectuer les interventions chirurgicales, dans des lieux où il n’est pas habituel d’entendre un leader à la voix féminine. J’ai donc dû m’affirmer auprès des techniciens en soins infirmiers ou en radiologie, mais aussi auprès des représentants de toutes les autres spécialités médicales.
J’avais l’habitude de la salle d’opération et de résoudre de nombreuses difficultés en tant que femme. Mais quand j’ai dû les affronter en équipe, puis former le personnel, faire la recherche des premiers éléments et m’assurer qu’ils étaient disponibles, cela a été plus difficile puisque tout le monde s’attendait à ce que je démontre mes compétences : mes premières interventions ont été « supervisées » par des chirurgiens ou des cardiologues qui devaient évaluer mes aptitudes.
Comment le paysage de la radiologie d’intervention a-t-il évolué au fil des ans, en particulier en matière de représentation hommes/femmes?
Je vais parler de mon pays et de l’Amérique latine en général. Petit à petit, davantage de femmes entrent dans le domaine de la radiologie d’intervention, comme dans le reste du monde. Dans des pays comme le Mexique, la Colombie, le Chili, le Brésil et le Pérou, certaines femmes occupent déjà des postes à responsabilités. Cela a créé davantage de possibilités pour les femmes qui souhaitent se consacrer à cette spécialité.
Dans mon pays, nous sommes déjà en train de former trois femmes radiologues d’intervention, nous serons donc quatre à l’issue de leur formation.
Que conseillez-vous aux femmes qui souhaitent entrer dans le domaine de la radiologie d’intervention?
C’est une spécialité très complète, dans laquelle vous avez la capacité d’intervenir dans de nombreux domaines de la médecine. L’important, c’est de tout faire avec passion, puisque de la plus petite à la plus complexe des interventions, vous pouvez non seulement sauver des vies, mais aussi poser des diagnostics précis et administrer des traitements par des interventions minimalement invasives.
Nous, les femmes, sommes capables de nous épanouir dans n’importe quel domaine; l’important, c’est de croire en soi et d’avoir la conviction que nous ferons toujours au mieux pour nous-mêmes.
Recommandez-vous de se concentrer sur certaines compétences ou certains domaines de connaissances en particulier pendant la formation en vue d’une carrière en radiologie d’intervention?
Je pense que tous les domaines ont leur importance. Il est cependant important de tenir compte du lieu où vous exercerez et de ce que vous aspirez à faire dans votre carrière. Comme bon nombre d’entre nous sont formés dans d’autres pays, quand nous rentrons dans notre pays d’origine, nous vivons de la frustration de ne pas pouvoir appliquer tout ce que nous avons appris. Cependant, il est toujours possible de se spécialiser dans des domaines tels que l’oncologie, la gestion de la douleur, les interventions biliaires, etc.
Lors d’une formation dans un pays qui offre de nombreuses possibilités, c’est toujours une bonne idée de passer du temps dans tous les domaines pour évaluer ceux qui nous intéressent, puis d’essayer de renforcer nos compétences dans ce domaine particulier.
Pouvez-vous nous parler des occasions de réseautage destinées aux femmes en radiologie d’intervention?
Parmi les différentes possibilités d’échanger des idées et des connaissances, on compte les congrès de radiologie d’intervention, où il est possible de rencontrer des sommités du domaine.
Les médias sociaux et les forums de discussion permettent aussi d’entrer en contact et de chercher des postes.
En quoi la diversité permet-elle, selon vous, d’améliorer la pratique de la radiologie d’intervention?
Notre monde est rempli d’une diversité d’opinions, de personnes, d’origines ethniques et de genres… Et c’est ce qui fait de nous des êtres humains aux capacités incroyablement diverses, qui, quand ils se rassemblent, arrivent toujours à accomplir de grandes choses.
La médecine dans son ensemble devrait tirer parti de la diversité des personnes, des points de vue, des réalités et des expériences de chacun, parce que nous œuvrons tous avec un objectif commun : prendre soin du patient, qui, lui aussi participe de cette diversité; dans ce cadre, la contribution de chacun est importante.
Comment voyez-vous l’avenir de la radiologie d’intervention, et quelles occasions les femmes du domaine auront, selon vous, à saisir?
Notre spécialité grandit chaque jour, non seulement en effectif, mais aussi dans des domaines comme l’oncologie, les interventions vasculaires, la gestion de la douleur, etc. Je pense que notre domaine comptera encore davantage de surspécialités à l’avenir.
Pour ce qui est des femmes, cela me réjouit d’en voir à des postes à responsabilités, et, surtout, de voir qu’elles conservent ces postes.
Recommandez-vous certaines associations ou conférences pour le réseautage et le perfectionnement professionnel en radiologie d’intervention?
J’estime que l’Association canadienne pour la radiologie d’intervention (CAIR) fait un excellent travail avec sa section dédiée au leadership au féminin, ce qui crée bon nombre d’occasions.
Je ne pourrais pas mentionner un congrès en particulier sans léser tous ceux qui existent. L’important, c’est d’y prendre part et de ne pas avoir peur de demander à participer. C’est ce qui vous permettra de constater qu’un simple contact ou commentaire peut entraîner des résultats positifs.
Quand j’ai fait mes débuts en radiologie d’intervention, je n’avais pas la moindre idée de qui contacter ou où commencer. Je suis allée au congrès de mon association professionnelle (la Sociedad Iberoamericana de Intervencionismo) à Cancún, au Mexique, et je me souviens que lors de mon arrivée à la table d’inscription, j’ai demandé à un homme qui se trouvait devant moi s’il connaissait quelqu’un qui pourrait m’aider à me former en radiologie d’intervention. Par pure coïncidence, il s’agissait de l’un des fondateurs de la radiologie d’intervention au Mexique, et il a eu la gentillesse de m’amener auprès de tous les chefs de département du domaine, ce qui m’a permis de parler à chacun d’entre eux
Que conseillez-vous aux femmes radiologues d’intervention qui s’orientent vers des postes de responsable dans la spécialité?
Le plus important en matière de leadership, c’est de le garder sur la durée. En effet, nous avons d’excellentes cheffes de file, mais il est difficile de maintenir ce leadership, puisqu’il dépend de nombreux facteurs sociaux.
de prendre le temps de repérer d’autres femmes de tête qui pourraient l’épauler dans ses tâches.
Quels sont les aspects du domaine ou de votre travail que vous n’aimez pas? Quelles sont vos solutions?
Dans mon travail, je n’aime pas les changements de politiques des hôpitaux ou le manque de fournitures auquel nous sommes parfois confrontés dans les pays en voie de développement, puisque cela cause beaucoup de frustration, et que si l’on n’est pas en mesure de gérer ce niveau de frustration, cela entraîne beaucoup de stress, ce qui n’est pas sain.
Vous êtes-vous trouvée confrontée à des stéréotypes ou à des préjugés sur les femmes en radiologie d’intervention, et si oui, comment y répondez-vous?
De façon générale, on fait toujours davantage attention aux femmes quand il s’agit de gérer des situations stressantes, puisque selon les préjugés, nous sommes des êtres émotifs. Par conséquent, notre comportement est souvent mal accepté même s’il n’est pas différent de celui de nos collègues masculins. Cela conduit bon nombre d’entre nous à vouloir prendre des attitudes masculines pour être acceptées. Cependant, c’est une mauvaise idée : il nous faut recevoir les conseils tant d’hommes que de femmes sur la gestion de situations qui génèrent des émotions ou du stress au travail.
Comment agissez-vous si vous êtes la seule femme dans un environnement professionnel, et quel conseil donneriez-vous à celles qui se retrouvent dans une telle situation?
Ayez toujours confiance en vous-même et en vos compétences. Même si les hommes et les femmes ont des réactions et des comportements différents, je pense que le fait de croire en vous et d’avoir confiance en vos compétences vous suffira. N’essayez jamais d’agir différemment pour impressionner quelqu’un. Chacun doit être respecté pour son individualité.
Que pourraient faire les femmes pour favoriser le soutien et la collaboration dans le domaine de la radiologie d’intervention?
Il est important de repérer un chef de file, homme ou femme, qui appuie les initiatives en faveur de l’égalité hommes/femmes, de favoriser les activités entre collègues et de soutenir les équipes de soins infirmiers et de techniciens pour créer un environnement propice au travail d’équipe.
Les problèmes hiérarchiques entre les médecins et le personnel sont très courants. Cependant, dans un environnement propice à la collaboration, il est plus facile de travailler dans le respect.
Pouvez-vous nous raconter des expériences sur l’intégration de l’intelligence artificielle dans la pratique de la radiologie d’intervention ou nous donner des conseils à ce sujet?
Pour l’instant, nous ne travaillons pas avec l’intelligence artificielle, mais cette technologie est très prometteuse.
Comment réussissez-vous à trouver un équilibre entre les exigences de la radiologie d’intervention et les responsabilités familiales, et quel conseil avez-vous pour les femmes qui souhaitent atteindre un tel équilibre?
En tant que médecins et scientifiques, nous visons l’obtention d’un équilibre à 50/50. Cependant, comme nous effectuons des interventions, traitons des situations d’urgence et avons des gardes de nuit, il est souvent impossible d’atteindre un tel équilibre, ce qui cause de la frustration et de l’anxiété.
Comme je l’ai déjà dit, l’important, c’est de se comprendre soi-même, de connaître ses limites et d’avoir un cercle de confiance avec son partenaire ou sa famille, dont les membres comprennent vos objectifs et vous soutiennent.
Vous serez moins stressée si vous réalisez que vous ne pouvez pas vous trouver partout en même temps.
Il faut profiter du temps passé en famille au maximum pour se ressourcer et passer du temps de qualité.
Nous devons arrêter de nous sentir coupables de ne pas être avec notre famille tout le temps ou d’essayer d’être comme les autres mères ou les autres filles, et plutôt nous sentir satisfaites de ce que nous faisons. Dans notre quotidien, nous sommes accaparées par notre travail. Cependant il est possible de passer un temps d’aussi bonne qualité en famille qu’au travail.
Pouvez-vous nous parler d’initiatives ou de projets dans lesquels vous vous êtes impliquée dans le but de remédier à la disparité hommes/femmes ou d’améliorer la représentation des femmes en radiologie d’intervention?
Lors du dernier congrès de mon association professionnelle, il y a pour la première fois eu un segment consacré aux femmes en radiologie d’intervention. Il s’agissait cependant d’une approche d’autonomisation, avec une étudiante en médecine, des femmes radiologues d’interventions et cheffes de file qui disaient à l’auditoire que nous nous sentons aussi capables que les hommes et que nous avons besoin de femmes de tête pour créer des occasions pour nous.
Selon moi, les femmes devraient prendre l’initiative de promouvoir leur leadership et leurs compétences en matière d’aide à l’orientation.
Dorénavant, lors des prochains congrès, nous ferons toujours la promotion des groupes de leadership féminin et des réseaux de soutien dans les différents pays d’Amérique latine.