Facetime interview: Dr. Nicolette Sinclair with Dr. Nevin De Korompay
J’ai rencontré le Dr Nevin De Korompay (NDK) il y a 10 ans, alors que nous étions tous deux en lice pour devenir représentant ou représentante des résidents au Conseil d’administration de l’Association canadienne des radiologistes (CAR). Je ne dévoilerai pas le nom de la personne choisie, mais je pense qu’il m’en veut encore. La CAR a financé notre déplacement à tous les deux pour assister au congrès annuel de l’American College of Radiology (ACR), à Washington D.C., puisque nous jouions tous les deux au soccer (voir ma bio) et que nous venions des Prairies (NDK est originaire de Winnipeg)… Nous nous sommes bien entendus. Comme nous travaillons maintenant tous deux en radiologie d’intervention (RI), nous sommes restés en contact : nous nous consultons régulièrement sur certains cas et nous envoyons des photos de nos chiens. À Kelowna, dernièrement, le Dr De Korompay a fait partie d’un groupe qui a commencé à offrir des traitements endovasculaires d’AVC ischémiques aigus, mettant sur pied un programme de A à Z. Cela m’a intriguée, sachant qu’il était, comme moi, un radiologue d’intervention « corporel ». Je sais aussi que le thème des RI « corporels » qui réalisent des thrombectomies endovasculaires (TE) est matière à débat. En fait, je me souviens justement très clairement d’un débat sur ce sujet, qui avait eu lieu lors d’un précédent congrès de CAIR (CIRA, à l’époque). Étant donné la politesse légendaire des Canadiens, je pense que personne n’avait eu le dernier mot, mais j’ai quand même voulu en parler avec NDK pour en apprendre un peu plus. – Dre. Nicollette Sinclair
NS: Bonjour Nevin! J’espère que tout va bien pour toi à Kelowna. Peux-tu me parler un peu de ta formation et de ta pratique avant l’entrée de la TE dans ta vie?
NDK: Eh bien j’ai effectué ma résidence en radiologie à Winnipeg, et mon stage de surspécialisation (fellowship) en radiologie d’intervention à Vancouver. J’avais réalisé quelques angiographies cérébrales diagnostiques pendant ma résidence, mais aucune pendant ma surspécialisation. J’ai commencé à exercer à Kelowna en 2016, et j’ai participé à l’élaboration d’une pratique de « RI corporelle » évolutive, comportant beaucoup de radio-oncologie d’intervention, mais aussi des interventions sur l’aorte ou sur des malformations vasculaires, des embolisations des fibromes utérins, des embolisations des artères prostatiques et des dialyses. Je devrais aussi mentionner que les angiographies cérébrales diagnostiques étaient effectuées au département de RI du Kelowna General Hospital, ce qui a sans doute préparé le terrain pour la TE.
Nous sommes quatre RI dans notre cabinet qui compte 16 radiologues, nous avons une clinique privée et desservons également le Kelowna General Hospital (KGH).
NS: Comment la TE a-t-elle fait son entrée dans votre cabinet? Peux-tu nous décrire ta pratique et ton environnement en matière de TE?
NDK: D’habitude, pour tous les cas d’AVC aigus, on réalisait un examen de tomodensitométrie (TDM) ou d’angiographie par tomodensitométrie (ATDM) au KGH ou dans un des hôpitaux voisins avant de transférer le patient vers les basses-terres continentales s’il était candidat à une TE. Le transfert de ces patients prend évidemment du temps, et comme tu l’as peut-être entendu une ou deux fois, le temps, c’est du cerveau. Le transfert prenait souvent encore plus de temps en hiver à cause des conditions difficiles rendant le déplacement dangereux. En fait, il était rare qu’un patient arrive à Vancouver à temps pour que l’on puisse encore envisager une TE ou que l’on obtienne des résultats de qualité. Le KGH est un centre de soins tertiaires pour l’Okanagan qui dispose de 441 lits. Il s’agit d’un hôpital universitaire de l’UBC qui participe aux rotations pour la Faculté de médecine.
Il y a environ trois ans, alors que nous poursuivions notre travail de « RI corporelle », le service de neurologie et l’administration nous ont demandé de mettre un programme de TE en place, à la suite du succès de centres comme ceux de Kingston et de Victoria qui n’étaient auparavant pas en mesure d’offrir les meilleurs soins possibles aux patients locaux. Les neurologues spécialistes des AVC ont mis en place une équipe pluridisciplinaire sur l’AVC afin d’améliorer les résultats au sein de l’équipe du KGH; cette équipe comporte désormais des neurologues, des coordonnateurs pour les patients, des infirmières-pivots, de futurs RI ainsi qu’un neurochirurgien endovasculaire.
Nous avons actuellement cinq opérateurs de TE, quatre radiologues d’intervention et un neurochirurgien endovasculaire. C’est un groupe formidable, et je tiens à les nommer : la Dre Brooke Cairns, le Dr Paul Kurkjian, le Dr Wayne Tonogai et moi-même pour la radiologie d’intervention, et le Dr Mike Tso pour la neurochirurgie. Tous les cas sont examinés de façon collégiale; même après plusieurs heures, si l’un d’entre nous est disponible, il analyse les examens d’imagerie et donne son avis. Tous les cas sont traités avec deux opérateurs en salle d’opération : le premier est de garde et le deuxième est l’un des autres, qui est disponible et sobre. Il arrive que nous soyons trois ou quatre sur place. Nous avons réalisé notre première TE en 2019; depuis, nous en avons effectué plus de 50 autres. Dernièrement, nous avons commencé un programme d’accès radial, principalement pour ne pas fâcher le Dr Darren Klass.
Nous participons à des tournées hebdomadaires sur les AVC et à des conférences pluridisciplinaires mensuelles avec le groupe de Victoria, nous présentons des études de cas, des techniques et des résultats. Nous avons des réunions mensuelles sur la qualité avec des représentants des services de radiologie, neurologie, chirurgie, anesthésie, des soins infirmiers, des technologues et même des techniciens ambulanciers paramédicaux. Les chiffres et les résultats sont analysés et examinés en permanence. Il s’agit sans aucun doute d’un travail d’équipe, et nous ne serions tout simplement pas capables d’offrir un tel service sans le soutien d’une multitude de partenaires ainsi que de toute l’infrastructure mise en place en coulisses. Cela représente beaucoup de travail, mais c’est un travail gratifiant..
NS: Quelle formation complémentaire as-tu effectuée?
NDK: Des responsables de tout le Canada sont venus à Kelowna pour des démonstrations d’appareils de laboratoire et du mentorat, nous avons visité d’autres établissements de TE et nous avons eu l’immense chance de bénéficier de mentorat de la part d’autres établissements de Colombie-Britannique dans lesquels des RI « corporels » effectuent des interventions sur des AVC en phase aiguë, comme New Westminster et Victoria. Ensuite, il nous a fallu nous lancer. Au départ, nous sélectionnions les cas avec beaucoup de soin et le programme n’était accessible que pendant certaines plages horaires fixes, mais maintenant c’est un programme qui tourne 24 h sur 24, 7 jours sur 7.
NS: Avez-vous été critiqués parce que vous étiez des RI « corporels » réalisant de la neuroradiologie d’intervention? Comment réagissez-vous à de telles critiques?
NDK: Probablement. Pas tellement directement… Mais les réunions se sont faites plus rares avec la pandémie. Au début, nous avions toujours peur de faire un faux pas, de recevoir des critiques fondées et de mettre en péril les patients ou l’avenir du programme. Cette peur n’a pas entièrement disparu. Comme j’ai déjà participé au traitement de tels cas, je comprends les inquiétudes de nos collègues neuroradiologues d’intervention pour le maintien de la qualité des soins au patient. J’ai aussi fini par accepter le fait qu’à tous les endroits où les gens ne sont pas répartis uniformément, c’est-à-dire partout, il y aura toujours des débats sur l’équité d’accès aux interventions, aux ressources et aux surspécialistes.
Je pense qu’un bon praticien, avec la bonne équipe et dans le bon environnement, devrait être capable de choisir les cas qu’il saura prendre en charge. L’essai ESCAPE, par exemple, dans lequel des RI « corporels » réalisaient des TE, est l’un des essais déterminants sur l’AVC. Actuellement, au Canada, les TE sont réalisées par des neuroradiologues d’intervention, des radiologues d’intervention « corporels », des neurochirurgiens ou des neurologues d’intervention, selon le lieu où vous vous trouvez et le jour de l’intervention. Tous nos cabinets ont une portée anecdotique en quelque sorte, puisque chacun d’entre eux se trouve dans une situation géographique unique, avec une certaine population de patients, une certaine expertise locale, des médecins traitants, un intérêt et des personnalités uniques. Nous n’aurions jamais imaginé mettre en place un programme de TE si le besoin n’avait pas été démontré et sans le soutien des cliniciens et d’une équipe pluridisciplinaire solide. Je suis toutefois prêt à admettre que j’ai aimé ce défi : travailler avec une équipe extraordinaire pour mettre en place un programme dont je suis fier et que je n’hésiterai pas à te proposer si jamais un caillot issu d’engelures à tes orteils devait te terrasser à cause d’un foramen ovale perméable non diagnostiqué alors que tu skiais à Big White.
NS: Merci, je me souviendrai de cette offre! Tu diras à tout le monde que j’étais en train de dévaler une double noire de façon experte au moment fatidique. As-tu des conseils à donner à des radiologues d’intervention à qui l’on demande d’effectuer des interventions sur des AVC en phase aiguë ou de mettre en place une telle pratique?
NDK: Au risque de sonner comme un disque rayé, il vous faut avant tout une équipe bien établie, avant même de penser à enfoncer une aiguille dans quiconque. C’est la motivation de l’équipe et le mandat qu’elle nous a donné qui nous a rassemblés, c’est grâce à elle que nous avons créé cette équipe et nous continuons à nous appuyer fortement sur cette infrastructure et cette expertise.
Dans le feu de l’action, si l’on s’habitue aux angiographies cérébrales et aux interventions sur la carotide externe, c’est-à-dire à passer le cou, psychologiquement cela facilite l’approche lors d’interventions intracrâniennes, qui sont toujours un peu intimidantes.
Je recommanderais aussi de communiquer avec d’autres établissements dans lesquels des RI interviennent sur des AVC en phase aiguë, afin de bénéficier de leur expérience, et de communiquer avec vos partenaires de l’industrie qui sont toujours heureux de faciliter l’acquisition d’expertise dans l’utilisation de produits à des tarifs psychologiques. En parlant d’équipement, vous aurez aussi besoin d’une « super-infirmière » ou d’un « super-technologue » pour gérer votre inventaire et s’assurer que tous les membres de l’équipe savent manier les cathéters munis de trous latéraux (flush catheters), les systèmes triaxiaux, les guides de 0,14, etc. Ce n’est peut-être pas du matériel auquel vous êtes habitué.
Finalement, préparez-vous à assister à de nombreuses réunions. En journée.
NS: Un énorme merci d’avoir pris le temps de me parler, félicitations à toi et à toute l’équipe pour votre excellent travail à Kelowna. Une dernière question, est-ce que tu assisterais à un congrès de CAIR à Saskatoon?
NDK: Peu de gens le savent, mais en fait je suis né à Saskatoon. #BunnyHug
NS: Oh, voilà qui explique tout!
NDK: Mais est-ce bien raisonnable de tenir le premier congrès post-pandémique de CAIR en personne à Saskatoon? Que diriez-vous de Kelowna, plutôt?
NS: Tu as raison, dans ce cas on pourrait dire le troisième congrès post-pandémique de CAIR en personne à Saskatoon?
NDK: D’accord, j’y serai! 🙂